La bienveillance en entreprise est un concept qui suscite de plus en plus d’intérêts mais également de débats. À première vue, l’idée paraît séduisante : qui pourrait s’opposer à un environnement de travail où respect, empathie et considération pour l’autre règnent en maîtres ?
Cependant, il est crucial de s’interroger sur la manière dont cette bienveillance est mise en œuvre. En effet, lorsqu’elle devient une injonction, elle peut rapidement se transformer en source de confusion et de stress pour les collaborateurs.
Comme le souligne régulièrement Julia de Funès dans ses interventions, la bienveillance, lorsqu’elle est imposée, cesse d’être authentique et risque de devenir une façade derrière laquelle les pratiques managériales traditionnelles – parfois dures et contraignantes – continuent d’opérer. Ces injonctions paradoxales, où les collaborateurs reçoivent des messages contradictoires, créent des dissonances à l’origine d’un climat de malaise et d’insécurité.
Il est donc essentiel de veiller à ce que la bienveillance ne se réduise pas à de simples paroles ou à des règles dénuées de sens. Elle doit être vécue au quotidien, se traduire par des actions concrètes, et s’incarner en premier lieu dans une écoute réelle et sincère de chaque membre de l’équipe. Ce qui pose la question fondamentale : qui est le mieux placé pour incarner cette bienveillance ? Ceux qui exerçaient un management plus traditionnel ? Et qu’est-ce qu’un management bienveillant ?
S’il est difficile de définir précisément les contours d’un management bienveillant, commençons en premier lieu par dire ce que la bienveillance n’est pas :
La bienveillance n’EST PAS :
1. La complaisance : La bienveillance ne consiste pas à tout accepter, même les comportements nuisibles ou inappropriés. Dire “oui” à tout pour éviter les conflits, c’est priver les collaborateurs d’un retour honnête et les maintenir dans l’ignorance des effets néfastes qu’ils peuvent produire.
2. L’indifférence : Être bienveillant, ce n’est pas ignorer les problèmes ou les difficultés des autres sous prétexte de ne pas vouloir les déranger. Au contraire, la bienveillance consiste à se soucier sincèrement du bien-être des autres. (Bienveillance = veiller au bien-être).
3. La naïveté : La bienveillance ne doit pas être une positivité naïve, où l’on croit que tout le monde est toujours bon ou où l’on accepte tout sans discernement.
4. L’obligation d’être toujours positif : Bienveillance ne rime pas avec évitement des sujets difficiles. Au contraire, il peut s’agir de formuler des critiques constructives et respectueuses pour aider l’autre à progresser.
5. La manipulation : La bienveillance ne doit pas être utilisée comme un outil pour obtenir ce que l’on veut des autres. Faire semblant d’être gentil pour manipuler ou contrôler les situations va à l’encontre de ses principes.
6. La passivité : Être bienveillant ne signifie pas éviter de prendre des décisions ou de poser des limites claires. Il est tout à fait possible d’être ferme tout en restant bienveillant.
Pour que la bienveillance en entreprise soit réellement efficace, elle doit émaner d’une démarche authentique et sincère. Il est essentiel que les valeurs promues par l’entreprise soient en harmonie avec les pratiques managériales du quotidien. Cela nécessite un alignement rigoureux entre les objectifs de l’entreprise et le bien-être des collaborateurs, qui doit se refléter progressivement dans une culture d’entreprise clairement identifiée.
Car sans une intention sincère et un réel engagement, la bienveillance en entreprise sonne comme une manière de plus de manipuler les personnes et peut aboutir à des situations contre-productives pour l’entreprise elle-même : auto-censure, décisions moralement justes mais stratégiquement erronées, centration sur l’image de l’entreprise au détriment des conditions de travail, ….
La bienveillance ne doit jamais être perçue comme une contrainte, ni être imposée comme une obligation. Au contraire, elle doit servir de levier pour améliorer le vécu quotidien des employés, ce qui, en retour, stimulera leur engagement et leur performance. En adoptant cette approche, la bienveillance devient un véritable atout stratégique, contribuant à la création d’un environnement de travail positif et propice à la réussite collective. Une recherche de Harvard Business Review indique par exemple que les entreprises qui priorisent le bien-être et la bienveillance réduisent leur taux de turn-over de 32%, par un sentiment accru de sécurité et de valorisation ressenti par les employés. Une autre étude de l’American Psychological Association révèle que les employés travaillant dans des environnements soutenants rapportent 35% moins de cas de burnout ! On le voit, les bénéfices sont nombreux et les effets parfaitement tangibles.
Pour aller plus loin :
1. De Funès, Julia. (2024) « La vertu dangereuse : les entreprises et les pièges de la bien-pensance » Paris : l’observatoire
2. Lemoine, J. (2020). « La bienveillance au travail : En finir avec les idées reçues ». Paris : Vuibert.
3. Quinio, S., & Chapuis, F. (2021). « Management bienveillant et performance : Comment conjuguer réussite collective et bien-être individuel ». Paris : Eyrolles.
4. Vidal, C. (2022). « L’entreprise humaniste : Vers un management bienveillant et performant ». Paris : Diateino.
5. De Funès, Julia. (2019) « Socrate au pays des process » Paris : Flammarion,